Le 6ème Gulf Film Festival rassemble de nombreux films des pays arabes en compétition, du 11 au 17 avril 2013. Mais le festival n'est pas seulement une vitrine pour les cinéastes arabes. Organisé du 14 au 17 avril à Dubaï, le Gulf Film Market (" Marché du Cinéma du Golfe ") entend créer de nouvelles opportunités pour les réalisateurs du Golfe et les professionnels étrangers pour jeter les bases d'une meilleure production locale.
Le Gulf Script Market (" Marché du Scénario du Golfe ") fait partie des initiatives pour développer les projets. Dans le cadre des aides à l'écriture de films, les responsables de Dubaï ont fait appel au cinéaste égyptien Yousry Nasrallah pour servir de " script mentor " (" Superviseur en scénario ") sur les scénarios.
L'auteur du film Après la bataille, 2011, qui s'impose comme l'un des réalisateurs indépendants les plus en vue de l'Egypte, est venu à Dubaï pour partager ses idées sur le cinéma avec le regard critique qui le caractérise. Il fait le point sur la situation des productions dans le Golfe et leurs rapports avec l'international ainsi que sur la portée des sujets.
- Quel est le sens de votre intervention au Gulf Film Festival de Dubaï ?
On m'a demandé d'être le superviseur de jeunes cinéastes du Golfe qui veulent faire des courts-métrages. Il s'agit de discuter avec eux des scénarios et les aider à les présenter, à faire du " pitching " ("courte présentation du sujet de film"). C'est une idée très américaine, selon moi, de se mettre devant un public et de présenter son projet pour attirer un producteur. Ca m'a valu de lire 12 scénarios assez intéressants et de me rendre compte d'une chose qui paraît étonnante mais fait partie de la réalité des choses, c'est que l'idée qu'on se fait des cinéastes du Golfe et de l'Arabie Saoudite est inexacte. Je ne parle pas de l'Irak et du Yémen qui sont des pays plutôt pauvres. Pour le reste, on pense que ce sont des gens gâtés qui ont beaucoup d'argent, de moyens, mais pas du tout.
Il semblerait que le dernier souci des institutions publiques, si on peut parler d'institutions publiques dans ces pays, soit de produire un cinéma local. On se rend compte de quelque chose de très réjouissant finalement, c'est que les sujets que présentent ces cinéastes sont extrêmement ancrés dans une réalité qu'on ne connaît pas bien, et qui est assez difficile. Ce sont des films assez sociaux qui parlent des rapports entre hommes et femmes, de répression, d'une sorte d'hypocrisie, de la manière dont se font les mariages comme une transaction commerciale… On est vraiment face à une réalité qui a été longtemps non pas occultée, mais qui ne s'est jamais exprimée, du moins dans le cinéma.
- Pourquoi dites-vous que le dernier souci des gouvernements qui ont de l'argent serait d'aider ou d'améliorer le cinéma ?
C'est un fait. J'ai eu une discussion avec les directeurs du festival et je me suis rendu compte qu'on aime beaucoup le coté " show " d'un festival, inviter des stars de l'étranger, coproduire des films américains, mais qu'un jeune cinéaste " rame " autant que n'importe qui, et peut être plus, dans le sud de ce monde arabe, pour trouver un financement pour son film.
- Pourquoi ?
Parce que je crois que quand le cinéma commence à exister, ça reflète et ça construit aussi l'âme d'un pays. J'ai l'impression que cette construction d'âme, on n'a pas très envie qu'elle passe par des cinéastes. On préfère qu'elle passe par la télé, par quelque chose qui ne soit pas aussi subversif que le cinéma. C'est mon analyse, je ne suis pas sûr d'avoir raison mais je ne peux pas me l'expliquer autrement.
- On voit quand même qu'il y a des financements pour le cinéma, des fondations, qu'il y a une envie d'affirmer une certaine image et de donner de l'argent, tout au moins pour occuper un terrain en termes d'images…
Ça, je me le demande. Dans un pays comme l'Arabie Saoudite, on comprend très bien pourquoi il n'y a pas un souci pour le cinéma. Ce qui est étonnant, c'est de voir à quel point, malgré le " funding " qu'il peut y avoir dans les Emirats et dans la région, combien c'est difficile pour un jeune cinéaste local de se créer une vraie carrière en tant que réalisateur.
- Est-ce que les productions avec les espaces francophones vous semblent une manière de contourner le problème ?
Les gens dans les espaces francophones s'imaginent qu'il y a plus d'argent par ici. C'est plutôt eux qui demandent de l'argent au Golfe, avec cette illusion qu'il y en a plus. Et c'est peut être vrai qu'ils y trouvent de l'argent pour leurs cinéastes. Mais les cinéastes locaux, eux, ont du mal… Probablement pour les mêmes raisons, malgré le fait qu'il y ait une industrie de cinéma en Égypte, quelqu'un comme moi a eu recours à des coproductions avec la France. C'était aussi pour échapper à un certain genre de censure. Ça me donnait plus de liberté.
Mais, dans le Golfe, c'est une question très économique. Je n'ai pas beaucoup entendu les gens parler de censure. C'est un sous texte qui peut transparaître dans leurs propos mais ça n'est pas le souci principal. Le souci principal, c'est comment trouver une production pour les films.
- Cette situation est-elle la même partout dans la région ?
Il y a une volonté clairement anti cinéma qui est pratiquée en Arabie Saoudite avec l'idée que le cinéma ce sont des baisers et des scènes d'amour, donc contraires à la morale. On comprend pourquoi ça se passe comme ça dans ce pays. Mais ici, dans les Émirats Arabes Unis, il faut parler avec les cinéastes pour essayer de comprendre pourquoi il y a cette réticence à faire exister le cinéma alors qu'il y a les moyens, qu'il devrait les y avoir. Avec le nombre de réalisateurs qu'il y a dans les pays du Golfe, on ne comprend pas cette résistance à faire exister un cinéma national.
- Sur le plan artistique, les sujets des scénarios que vous lisez sont ils bien construits ?
Un scénario, c'est une étape, je pense que ça se réécrit. Il y a toujours quelque chose à améliorer, à rendre plus abouti. J'ai discuté ici avec une cinéaste, membre du jury, qui me disait qu'elle trouvait très intéressants les sujets qu'elle voyait parce qu'ils étaient très critiques par rapport à la société. Mais je lui ai dit que c'est une arme à double tranchant. Il est dommage en tant que cinéaste du sud, de se trouver obligés de centrer tellement son œuvre autour du politique et du social. C'est peut être aussi dû au fait qu'il n'y a ni préoccupation du politique ou du social chez nous, et il faut bien que quelqu'un s'en occupe. Quand ça devient le travail du cinéaste, ça le réduit un peu.
Il y a des sujets qu'on ne peut plus aborder soit parce qu'on est trop préoccupés par le politique, soit à cause de la répression religieuse et morale. Des sujets comme le rapport de l'homme avec l'univers, le rapport avec Dieu, la femme… Ce sont des choses qu'on ne peut aborder que par le biais du politique. En tant que cinéaste égyptien, je peux bien parler de mon rejet des frères musulmans mais je ne peux pas du tout discuter de mon rapport à la religion en tant que tel. Donc ça reste politique et il y a quelque chose d'hypocrite là dedans. Quand on se met à dire (je parle de l'institution et pas du dogme même), ça cache généralement quelque chose de plus profond qui est un problème avec cette omniprésence d'une certaine idée de la religion, d'un certain rapport avec la religion qui fait que l'individu n'existe plus du tout. Ca c'est l'enjeu et le danger principal.
- Est-ce que l'on sent une différence d'approche entre les pays où il y a une histoire de cinéma comme l'Irak, et les pays du Golfe où le cinéma reste à construire comme les Émirats Arabes Unis ou d'autres États ?
Pas vraiment. Dans le contexte présent, même dans des pays anciens comme l'Égypte où le cinéma existe depuis très longtemps, et l'Irak où il y a eu une tradition de cinéma, l'industrie est dans un état catastrophique total. Je ne pense pas que le problème des cinéastes aujourd'hui soit qu'il y ait un passé de l'industrie du cinéma ou pas. Le problème, c'est qu'il n'y a pas une industrie aujourd'hui. Un cinéaste est un cinéaste, qu'il y ait une industrie ou pas. La question, c'est comment faire le film. Est-ce qu'on le fait en tant qu'indépendant, ou dans le cadre d'une machine qui produit de manière régulière et qui créé son système ? Je crois, au contraire, que le fait qu'il n'y ait pas de système donne plus de liberté, de flexibilité aux cinéastes du Golfe. La question de la tradition n'est pas prioritaire. Aujourd'hui, l'image est devenue internationale. Je ne pense pas qu'on puisse trouver des excuses que ce soit en Afrique ou dans les Pays du Golfe.
Quelqu'un qui veut commencer un film, avec la présence des nouvelles technologies, n'a pas le droit de dire qu'il n'a pas vu, qu'il ne sait pas. Il n'a pas droit à cette naïveté de pionnier avec laquelle on a été assez indulgent dans les années 60, par exemple avec le cinéma africain en voyant les maladresses de narration. Cette forme de naïveté qu'on retrouvait dans les films, on disait que c'était culturel. Mais dans des pays très défavorisés en Afrique, certains ont pu - comme Idrissa Ouedraogo, Gaston Kaboré, pour n'en citer que quelques-uns - exister en tant que cinéastes. Ils ont pu développer un langage réel de cinéma, en tant que vraie solution, et poser des questions de récit, des questions techniques…
- Comment peut-on améliorer la situation du cinéma, selon vous ?
En faisant des films. Il n'y a pas d'autres moyens. Ce n'est pas en disant "il faudrait faire ci, il faudrait faire ça".
C'est en se positionnant en tant que cinéaste, pas en tant que porte-parole.
Propos recueillis par Michel AMARGER
Africiné / Paris
Correspondance spéciale
Illustration : Yousri Nasrallah (au milieu des officiels) lors de la cérémonie de clôture du GFF / Photo © Michel AMARGER. Dubaï, avril 2013
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